Pérégrinations textiles au fil des îles

D'Okinawa à Hawaï

Les imprimés des chemises hawaïennes sont d’origine japonaise, suite aux vagues d’émigration du Japon et d’Okinawa vers Hawaï dès la fin du XIXe siècle. Ces premières chemises hawaïennes, rebaptisées plus tard "Aloha", on été d'abord coupées dans des tissus de kimonos.

C'est un tissu XIXe aux motifs japonisants, chiné chez un collectionneur, qui a servi de base pour l’imprimé emblématique de la collection, auquel ont été ajoutées des photos de fleurs et de carpes koï, très colorées, pour apporter un effet de profondeur assez troublant ainsi que du mouvement, omniprésent sur les chemises hawaïennes.

Cet imprimé a été également décliné sur le voile de jacquard, cette maille ultra légère présente dans toutes nos collections. Il était, bien sûr, extrêmement tentant de faire une chemise hawaïenne dans ce tissu.

Ce sont les couleurs de cet imprimé qui ont déterminé la gamme générale de la collection. On retrouve le corail des carpes, les verts profonds ou gorgés d'eau et toutes le gradations de bleus que possède l'indigo, du plus vert au plus violet.
Détail de l'imprimé Maui.

Réutilisation du motif XIXe, très agrandi, pour le thème Jungle.

Le thème Aloha montre une autre interprétation de la chemise hawaïenne. Il s'agit d'une broderie en continu, composée de motifs typiques des chemises hawaïennes, comme la vahiné, les poissons tropicaux, l'hibiscus et un tahitien vêtu d'un pull Catherine André qui surfe sur des vagues inspirées d'Hokusai. C’est notre touche "maison".

L’imaginaire du voyage

Cette collection est un mélange de cultures iliennes du Pacifique, d’Hawaï à la Nouvelle Zélande en passant par l’île de Pâques, les îles Samoa… Le déclic s’est fait à la lecture du journal de bord de Joshua Slocum, écrit lors de son tour du monde en solitaire mais aussi au contact de la culture d'Okinawa, si particulière et qui m'est si précieuse.

Joshua Slocum, capitaine de voilier au moment où la vapeur prenait le marché de la navigation, a reconstruit un petit voilier, le Spray et quitté en 1895, à 51 ans, la côte des États-unis pour un périple de 46.000 milles durant lequel il a vécu des aventures incroyables, faites de poursuites de pirates en Méditerranée, d’une rencontre aux îles Samoa avec la veuve de l’écrivain R. L. Stevenson qui lui a confié des carnets d’instructions nautiques de son mari…

"The world is full of magic things, patiently waiting for our senses to grow sharper."
W. B. Yeats

Une autre influence vient d’Herman Melville qui dans son roman Taïpi relate ses expériences sur l’île Nuku Hiva dans l’archipel des Marquises.

On retrouve toujours dans mes collections, la trace des voyageurs et écrivains, hommes ou femmes : il y a eu Lou Andréa Salomé, les femmes voyageuses telles que l’orientaliste Alexandra David-Neel, Lafcadio Hearn qui, avant de se faire adopter par le Japon, a voyagé dans les Antilles. Lorsque je me suis rendue sur l’île d’Iriomote, sous un ciel gris, l’eau du lagon était turquoise mais d’un turquoise laiteux absolument indéfinissable, il faut posséder la subtilité du dialecte des iliens pour décrire cette couleur. Je me souvenais alors de Lafcadio Hearn qui, en route vers les Antilles, s’émerveillait chaque matin de l'intensité extrême du bleu de l'océan et auquel un passager répondait « Mais vous verrez, là bas, ce sera encore plus bleu… ».

Le vert n'est pas en reste, le vert de la végétation est lui aussi très présent. C'est ma couleur fétiche, on la trouve dans toutes mes collections, même quand j’essaie  de m'en séparer. Mais cette saison, le scénario de la collection lui donne sa justification.

Garder le fil

En parlant des îles Samoa, deux de nos jacquards, l'un réversible et l'autre ton sur ton, sont inspirés des motifs tribaux peints sur les Tapa. Ces étoffes végétales obtenues à partir d’écorces battues, sont issues d'une technique ancestrale qui se pratique en Océanie, comme au Japon.

Avant de commencer cette collection j'ai eu la chance de rencontrer Madame Iwatate, grande voyageuse et collectionneuse de textiles traditionnels anciens, c'est dans son musée que j'ai pu voir ce qu'était un Tapa.

Tapa traditionnel.

Les thèmes de la collection, Samoa et Tapa, sont illustrés sur des pièces épurées et graphiques.

Chaque collection est en quelque sorte une circumnavigation !

C'est une vraie aventure dont je ne sais jamais précisément où elle va nous mener, même si les limites du scénario sont fixées très en amont. L'élaboration de la maille, la réaction des fils selon les techniques, les teintures puis les coloriages, sont un exercice complexe qui oblige à la patience, à la persévérance et exige une bonne dose de souplesse et d'inventivité.

Je dois constamment m'arrêter en cours de gestation pour vérifier et parfois reconstruire l'équilibre de l'édifice "collection". Je n'arrête pas de douter mais quel bonheur lorsqu'au moment du bouclage, aux premiers essayages, tout s'imbrique et s'orchestre !

Pour moi la maille c'est un peu de la sorcellerie.

Le thème Bloom, autre interprétation du tissu XIXe, aux teintes et harmonies désuètes, est un rappel de l'esprit, des couleurs, des kimonos anciens.

kimono ancien.

Le thème Tapa inspiré des motifs géométriques des îles Samoa.

Récapitulatifs des modèles de la collection en cours de création.

L'influence des traditions textiles

Tout au long de la collection, les techniques de teinture par réserve ont été de riches sources d'inspiration pour mes mailles, comme par exemple le shibori japonais qui consiste à plier et nouer le tissu pour empêcher la pénétration de la couleur, le plus souvent de l’indigo.
Ou encore, le batik indonésien qui utilise la cire pour créer des réserves afin que le tissu ne s’imprègne pas de la couleur.

On retrouve des échos de ces techniques ancestrales dans les thèmes Mette, Batik, Luciole et Topic.

Le thème Topic suggère de loin ces techniques de teinture à travers ses pointillés.

Les irrégularités, les cercles reliés figurent pour moi les liens qui existent entre toutes ces îles, dont la richesse culturelle est insondable et mystérieuse.

Hula est une danse pratiquée par les femmes d'Hawaï, pour communiquer avec les dieux. Le motif du thème évoque pour moi les mystères de la spiritualité. La maille du bas des poignets reprend le mouvement des vagues suggéré dans la danse Hula.

Photos reportage : Marco Bentz
Autres photos : Catherine André