Au Musée Soulages, l'expo Gutaï... | |
On ne sait jamais vraiment comment les choses commencent mais pour cette collection, c’était l’été dernier, une fin de semaine il me semble, je visitais l’exposition « Gutaï, l’espace et le temps » au Musée Soulages à Rodez. Touchée par la démarche de ce mouvement d’avant-garde japonais où, comme le dit Yoshihara Jirô « L’art concret ne transforme pas la matière, il lui donne vie », je déambulais au milieu des œuvres exposées. Cette approche festive de l’art, la liberté du geste, sans autres limites que celles de la nature, cet « immense feu de joie » a certainement provoqué le premier déclic créatif. Mais pour faire une collection, définir une silhouette, trouver le caractère de cette femme, j'ai besoin de choses plus concrètes...Cette femme va apparaître parmi les formes et les couleurs que je croise, à travers tous ces éléments qui peu à peu l’entourent et racontent son histoire. |
Mood board. | Alina Schulzen, mannequin de la collection AH19-20. |
Au tournant du XXe siècle à Cambridge, c’est le groupe Bloomsbury qui accroche mon attention. Virginia Woolf, John Keynes, Vanessa Bell, Duncan Grant… | |
Portrait de Virginia Woolf sur le mood board. | De ces mouvements qui ont accompagné un peu partout dans le monde le passage au XXe siècle, je retiens l'idée de quelque chose d'artisanal, produire un objet contenant une imperfection, une faille émotive qui contredise cette morne uniformité de la production industrielle. |
Dédale, un kaléidoscope de losanges Burlington réalisé à partir d'un chevauchement du motif Épisode, ce tissu en voile de jacquard joue avec les tensions de fils qui font apparaître ou disparaître des couleurs. La collection Hiver 2019-20L’aube du XXe siècle est fréquentée de silhouettes longilignes en redingotes cintrées, de volants et manches bouffantes. Chez les artistes et les femmes audacieuses on commence à ôter les corsets pour revêtir des robes « réformées », on porte aussi d'amples kimonos ouverts. J’ai intégré ces formes dans la collection Automne-Hiver 2019-20 avec des pardessus, de grands manteaux et paletots ouverts, l’emblématique redingote, une ligne de pulls larges et courts à manches gigots. | |
Plumes de paon déclinées dans le jacquard Scherzo. | Lors de l’élaboration des jacquards, j’ai puisé dans le foisonnant renouveau des Arts décoratifs des motifs géométriques. À partir de ces bases que nous avons triturées au studio et des contraintes techniques du tricotage, nous avons mis au point les jacquards de Prater et Scherzo. Puis nous les avons déclinés, fait des mélanges qui ont abouti aux motifs Épisode et Dédale. Dans chaque collection je propose des pièces en maille réversible. J'aime jouer avec cette possibilité technique qu'offre la maille. Cette année, nous avons fait du motif Épisode une maille réellement double-face, bi-motif et tricolore d’un côté grâce à une nouvelle machine acquise par notre fabricant du Puy en Velay (France). |
Certains motifs sont inspirés de tableaux de Gustav Klimt comme le thème Utopia et son effet miroitant qui évoque les mosaïques de Ravenne. | |
Manteau Duncan (photo Richard Haughton). | Le miroitement du tissu de la robe qu’Adèle Bloch-Bauer porte sur des photographies jaunies, s’est traduit par l’effet moiré et évanescent du jacquard Adèle. Une fragilité, comme entre deux eaux. Avec le peintre anglais Duncan Grant j’avais envie d’aplat de couleur et j’ai utilisé un écossais peint à la main, en faux uni texturé pour orner le perfecto, le grand manteau de laine et les accessoires du thème Duncan. Quant au dessin-fresque de mon petit-fils Elliott, j'en ai sélectionné une partie que nous avons recolorié plus simplement. Et pour terminer, un incontournable des collections hiver, les gros pulls. Avec la gamme Ultra, des pulls et paletots colorés aux teintes douces, tricotés en mélangeant un alpaga poilu et un fil de laine sec pour un effet tricot main, dans une maille chevalée qui semble se déliter. |
Toute la collection est parsemée de notes faussement artisanales, échos à ces mouvements artistiques, ces penseurs de la modernité du début du XXe siècle.
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Le château Renaissance
Depuis plusieurs années déjà, j’assiste aux concerts donnés l’été au château de Bournazel et je suis membre de son association. Les propriétaires sont des amis et m’ont plusieurs fois proposé de faire nos prises de vues dans ce magnifique édifice Renaissance. Mais jusqu’à présent aucune collection ne m’avait parue adéquate. Au début de l’hiver, ma première idée d’ateliers d’artistes n’avait pas abouti et je n’avais toujours pas de lieu où mettre en scène la collection. C’est alors que mon époux m’a suggéré et convaincu, de reconsidérer le château. Une bonne heure de route plus tard, je faisais un premier repérage dans des espaces en devenir, un passage vers une autre époque… Pas très sûre du bien-fondé de mon choix, j’envoie mes photos à Richard Haughton, le photographe avec qui nous travaillons régulièrement. Il trouve le lieu unique mais reste quelque peu dubitatif… jusqu’au jour du shooting où nous investissons le bâtiment pour deux journées bien remplies. | |
Dressing dans une pièce du château. Dessin d'Alexandre Miel. | Une fois sur place, l’équipe, explore les possibilités qu’offrent les lieux… s’émerveillant des fauteuils recouverts de tissus d’époque, les tapisseries murales, le choix subtil des meubles, la patine des dalles et l’extraordinaire chantier de restauration. Le lieu patiemment reconstruit pierre après pierre est étrangement habité. Nous sommes tous envoûtés, silencieux et pleins de respect. Alors nous improvisons et laissons la magie du château de Bournazel opérer. Alina, notre mannequin pour cette collection, joue parfaitement son rôle d’aristocrate déchue, de muse ou de poétesse tourmentée et la collection prend ses aises dans la salle de bal comme dans les galeries. Le tour est joué ! L’atmosphère du château a donné sa propre patte aux pièces de la collection. Je suis chaque fois éblouie par cette magie qui veut que mes collections, une fois sorties de notre studio, vivent leur vie.Book de la Collection Hiver 2019 |
Showroom Catherine André chez PPPaper à Taipei(en anglais) |